Tamara
Geerts
: chant
Anne
Wolf : piano
Sal
La
Rocca : contrebasse
Thierry
Gutmann
: batterie
Nina Simone, Wild as The Wind, fut un intermède un peu spécial dans la programmation de Charleville Action Jazz, tout d'abord, parce qu'il s'agissait d'un spectacle, entendons par là que les plages musicales étaient entrecoupées par une évocation "théâtrale" de la vie de Nina Simone, et ensuite, ce spectacle a été joué une première fois en après-midi pour un public "scolaire", 5 classes de collèges et de lycées, avant d'être présenté dans une version plus étoffée en soirée.
Remercions tout d'abord la com d'agglo Ardenne Métropole pour avoir permis au jeune public d'accéder gratuitement à ce spectacle. Faire découvrir le jazz à des lycéens et collégiens plutôt attirés par le rap n'est pas chose aisée et pourtant Tamara Geerts et ses complices Anne Wolf au piano, Sal La Rocca à la contrebasse et Thierry Gutmann à la batterie se sont admirablement sortis de la difficulté. Ils ont conquis l'auditoire en lui racontant l'histoire de Nina Simone de façon très pédagogique et évidemment illustrée par les morceaux de Nina dans lesquels la voix de Tamara fait merveille.
Le tout était bien replacé dans le contexte socio-politique des années 50. En plus de leur remarquable écoute, les jeunes ne se firent pas prier pour participer chaque fois que Tamara les a sollicités ce qui est un bon critère pour mesurer le succès du concert. La représentation s'est terminée par un jeu de questions-réponses avec de bonnes interventions des élèves.
Le concert en soirée proposait une version plus étoffée du spectacle jeune public : une reprise de morceaux du répertoire de Nina Simone, interprétés par un excellent quartet, et présentés d'une manière très personnelle par Tamara Geerts, à la fois comédienne et chanteuse. Elle commence à raconter sa découverte de Nina Simone lorsqu'au sortir de l'adolescence, elle était plutôt attirée par les musiques de danse en vogue. Comment cette voix singulière l'a marquée au point de bouleverser sa vie... Vient ensuite l'évocation de la jeunesse d' Eunice Kathleen Waymon, enfant surdouée au piano, qui rêvait de devenir la première grande concertiste noire et qui fut recalée à l'entrée du prestigieux Institut Curtis de Philadelphie pour des raisons évidentes de couleur de peau. Ce n'était pas sa première confrontation à la discrimination raciale : à l'äge de 11 ans, elle donnait un récital dans sa ville natale quand un couple de blancs demanda à ses parents installés fièrement au premier rang de céder leur place et de rejoindre les gens de couleurs en fond de salle, ce que la jeune Eunice refusa catégoriquement, menaçant de ne pas jouer si ses parents se levaient... Ce genre d'anecdote et bien d'autres trouvent leur place entre des plages musicales qui nous font suivre la carrière de Nina Simone, qui choisit ce pseudonyme pour cacher à ses parents qu'elle jouait "la musique du diable" dans des endroits douteux pour financer ses cours de piano...
On connaît la suite, le succès grandissant qui ne la satisfait qu'à moitié, alors que d'un autre côté le mouvement des droits civiques subit une répression impitoyable : arrestations, assassinats, attentats, exils... Nina Simone s'engage, ne veut plus chanter que des chansons dénonçant le racisme : Mississippi Goddam, chanson qui fait référence au meurtre de Medgar Everset et à l'attentat dans une église baptiste causant la mort de 4 fillettes, provoque une réaction :
quatre États du sud refusent de diffuser le morceau qui est également soumis à la censure de la télévision nationale, officiellement en raison du blasphème.
(Goddam peut se traduire par « bon Dieu » mais aussi « putain »). Nina Simone persiste et signe
avec Four Women et To Be Young, Gifted and Black
.
Ces chansons, entre autres, ainsi qu'une version très émouvante de Strange Fruit, immortalisée par Billy Holliday, sont interprétées avec beaucoup de talent par Tamara Geerts, qui les vit avec intensité, avec une gestuelle accentuant encore la dramaturgie portée par sa très belle voix. Ses accompagnateurs, musiciens réputés de jazz en Belgique, sont à la hauteur du projet , nous offrant au passage quelques remarquables chorus....
On ne s'étonnera pas de ne pas entendre My Baby Just Cares For Me, qui fut son morceau le plus célèbre, alors qu'elle ne l'aimait pas beaucoup, lui préférant ses chansons engagées. La fin de la carrière et de la vie de Nina Simone, son exil en France, la baisse de sa popularité et la maladie qui altère son comportement sont bien sûr évoquées avec le même talent.
Au final, on a assisté à un très bon concert de jazz, tout en découvrant ou redécouvrant le parcours d'une artiste qui des années après sa disparition, est toujours une icône incontestée, en témoignent les nombreux hommages qui lui sont consacrés.
Les collégiens et lycéens l'après-midi, aussi bien que les adultes de tous âges le soir, ont fait un triomphe à Tamara Geerts, Anne Wolf, Sal La Rocca et Thierry Gutmann, lesquels ne se sont pas fait prier pour offrir deux rappels au public enthousiaste.
Patrice Boyer